N°17

JANVIER - FÉVRIER - MARS  2016

 

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COMPTES-RENDUS DE CONCERTS


 ERIC BIBB ET JEAN-JACQUES MILTEAU

HOMMAGE À LEAD BELLY

L'ENTREPÔT À LÉ HAILLAN (33) Le 10 mars 2016.

Par Gilbert Béreau. Photos jean-Pierre Vinel


 

 

Comme à chaque fois, Eric Bibb apparaît, entame une chanson et l'enchantement est tout de suite au rendez-vous ! Que se soit avec Staffan Astner, magnifique guitariste suédois, puis avec Habib Koïté, le griot malien ou aujourd'hui avec Jean-Jacques Milteau, harmoniciste français mondialement reconnu, la magie opère toujours.

 

Jean-Jacques et Eric.
Jean-Jacques et Eric.

 

Il faut dire qu'Eric est l'Obélix états-unien ! Non en raison du physique puisqu'il est mince et de taille moyenne, mais parce qu'il est tombé tout petit dans la marmite de la musique. Comment aurait-il pu en être autrement avec son père Léon, chanteur de folk, avec pour oncle John Lewis, pianiste et géant du jazz, fondateur au tout début des 50's du monument que fût le 'Modern Jazz Quartet' et enfin le célèbre interprète de gospel Paul Robeson, pour parrain. C'est ainsi qu'il grandit dans un domicile où se croisaient une foule d'artistes dont Odetta, Pete Seeger puis Bob Dylan. Cependant, c'est bien plus tard, en 70, à 19 ans et à Paris qu'il se penchera sur le blues grâce à sa rencontre avec le guitariste-chanteur Mickey Baker, alors installé en France.

Jay Jay
Jay Jay
Jean-Jacques jonglant avec ses harmos.
Jean-Jacques jonglant avec ses harmos.

 

J.J. Milteau a fait l'objet d'un article dans le n°16 de 'Feeling Blues' à l'occasion d'un concert avec le groupe britannique '24 Pesos'. C'est au milieu des 60's qu'il rencontre le blues et l'harmonica en écoutant un album de Sonny Boy Williamson II. À cette époque, la musique diffusée sur le continent venait bien moins des Etats-Unis que de chez nos voisins grands bretons; jeunesse oblige, il a longtemps gardé une nostalgie de cette époque. Le public hexagonal le connait surtout pour ses apparitions aux côtés de chanteurs français de variétés mais à côté de ses variations autour de 'L'internationale' il nous a donné de grands albums de blues, et en particulier le lumineux 'Memphis' dans lequel il retrouve des sommités de la discipline comme Mighty Mo Rodgers, Little Milton et Mighty Sam McClain.

 

Jean-Jacques, Gilles et Eric.
Jean-Jacques, Gilles et Eric.

 

En 2015 germe l'idée de voir Eric Bibb et J.J. Milteau consacrer un album hommage à Huddie Ledbetter dit Leadbelly (ventre de plomb). Nos deux gaillards se sont entourés du français Gilles Michel à la basse et de Larry Crockett, batteur du New Jersey installé à Paris. C'est le quartet de l'album que nous retrouvons sur scène ce soir pour le premier jour de cette nouvelle tournée de 14 dates qui fait suite à celle de l'été dernier.
Eric et J.J. entrent seuls en scène sous un tonnerre d'applaudissements et c'est parti pour un récital consacré à ce Leadbelly dont le répertoire se confond si souvent avec 'l'American Songbook'. Le premier est sapé comme un milord, portant costard croisé et un de ses chapeau à larges bords qu'il affectionne et qui cache une calvitie habituellement rare chez un afro-américain de 65 ans. J.J, d'un an son cadet, a enfilé une tenue plus sportive avec jeans et veste de cuir. Ils vont démarrer avec l'entraînant "Pick a bale of cotton" avant de reprendre "Bourgeois blues", l'un des titres vedette du maître qui sera suivi du traditionnel "Grey goose".

À la 12 cordes.
À la 12 cordes.
À la 6 cordes.
À la 6 cordes.

Larry Crockett et Gilles Michel viennent prendre place derrière leurs instruments respectifs tandis qu'Eric commence à jongler avec ses trois guitares acoustiques, deux 6 cordes et une à 12 cordes, l'instrument de prédilection de Leadbelly. Ils vont nous interpréter quasiment tout le contenu du disque plus encore quelques autres perles et à deux reprises Jay Jay fera un portrait à très grands traits de Leadbelly et de son existence. Nous entendrons ainsi les titres marquants du répertoire de notre homme et en particulier ceux qui ont été repris et repris tout au long du vingtième siècle et encore au début de celui-ci. Ainsi "The house of the rising sun", que Leadbelly avait baptisé "In New Orleans", "Midnight special", "Rock island line" et surtout le superbe "Goodnight, Irene".

 

 

 

 

Comme à l'accoutumée, Eric danse d'un pied sur l'autre au rythme de sa musique, change régulièrement de guitare et dodeline beaucoup de la tête ; la voix me semble un tout petit peu plus voilée que d'habitude. J.J. variera les interventions acoustiques et celles utilisant un ampli pour harmonica, mettant parfaitement en valeur le travail au chant et à la guitare de son partenaire. Il nous offrira de bien beaux solos  pour lesquels il privilégiera plus la musique que la virtuosité gratuite. Bref, simplement le talent qui n'a besoin d'aucun écart vers le 'm'as-tu-vu' pour, malgré tout, sauter aux yeux du plus béotien en la matière !!!

 

Larry Crockett.
Larry Crockett.

 

On doit aussi rendre hommage au travail de Larry Crockett derrière ses fûts d'où, sans jamais chercher à briller pour lui-même, il a apporté un soutien d'exception avec des initiatives surprenantes et parfois un balai dans la main droite et un marteau dans la gauche.

Maître Milteau nous fera quelques petites blagues comme pour introduire la chanson "Where did you sleep last night" ou pour expliquer le départ de la section rythmique qui, vers la fin du set, abandonne nos deux héros pour une paire de titres dont une version de "Goin' down slow" qui laisse une grande place à l'harmo. Ils repartent à trois, puis quatre, pour un "On a Monday" au rythme si jouissif avant de carrément sortir du répertoire de Leadbelly.

 

Le quartet.
Le quartet.

La toute fin du show sera consacrée au répertoire d'Eric avec "I heard the angels singing", un titre du Révérend Gary Davis qu'il avait enregistré en 2001, suivi de ce qu'il appelle « son histoire » et qu'il raconte au travers de "Silver spoon", sa composition bien bluesy qui figurait sur l'album 'Blues people' de 2014. «Je suis né avec une cuillère en argent dans la bouche …» nous avoue-t-il sans faux fuyant, ce qui est parfaitement vrai, à tout le moins sur le plan humain et musical.

 

 

Puis ce sera le rappel réclamé à grand bruit par une salle bondée et ils reviendront terminer sur "Needed time". C'est un titre qu'Eric chante depuis toujours et sur lequel il fera entonner les refrains par un public joyeux qui marquera le rythme en tapant vigoureusement dans les mains.
La lumière se rallume et je scrute ma montre avec incrédulité en constatant qu'une heure trois quarts viennent de s'écouler. Je réalise que je suis loin d'être le seul car j'entends auprès de moi des personnes s'exclamer que le spectacle semble n'avoir duré qu'une petite demi-heure;  voilà où conduit le talent, on ne voit pas le temps passer …

 

Gilbert Béreau. Photos Jean-Pierre Vinel

 

Site d'Eric Bibb : http://www.ericbibb.com/
Site de JJ Milteau : http://www.jjmilteau.net/
Site de Larry Crockett : http://larrycrockett.com/home.html
Site de Gilles Michel : http://gillesmichel.fr/bio
"Goodnight Irene" : https://www.youtube.com/watch?v=OTyiiNRQTro&feature=youtu.be
Vienne l'été dernier :   

https://www.youtube.com/watch?v=Fm9EwOvDSfw
https://www.youtube.com/watch?v=9VaQxiaAXuA
Eric Bibb & son père à la TV canadienne :

https://www.youtube.com/watch?v=TQNLsyYBCXQ#t=53

 

 

 

En marge du concert :

 

Eric Bibb & J J Milteau

Lead Belly's Gold

Live at the Sunset... and More

Dixiefrog (10/2015)

 


 


LIVE

Grey Goose
When that train comes along/Swing low, swing chariot
On a Monday
The House of the Rising Sun
Midnight Special
Bring a Little Water, Sylvie
Where Did You Sleep Last Night
When I Get To Dallas
Pick a Bale of Cotton
Goodnight, Irene
Rock Island Line

 

STUDIO  

Bourgeois Blues
Chauffeur Blues
Stewball
Titanic
Swimmin' in a River of Songs

 

'DeLuxe' édition
 (live)   

Don't Ever Let Nobody Drag Your Spirit Down
Goin' Down Slow
I heard the Angels Singing

C'est à Philippe Langlois, patron de Dixiefrog et grand admirateur de Leadbelly que nous devons l'idée de confier ce disque hommage à la paire Eric Bibb/J.J. Milteau.

 

Mais qui était ce Leadbelly ?

 

Il était né Huddie Ledbetter en Louisiane en 1888 d'un père métayer qui, parti au Texas alors que le petit n'a que 5 ans, réussit à acheter une ferme dans laquelle Huddie travaillera dès ses 12 ans après à peine 4 ans d'école. Il s'intéresse très tôt à la musique, passe par plusieurs instruments avant d'adopter la guitare et dès l'adolescence on le retrouve chantant pour quelques dollars dans les bals et boites du coin. Avant la première guerre mondiale on le retrouve dans la région de Dallas où, durant quelques années, il fait équipe avec le bluesman Blind Lemon Jefferson et c'est à cette époque qu'il adopte la guitare à 12 cordes. Un évident besoin de justice et la tête plutôt près du bonnet l'ont conduit plusieurs fois en prison pour port d'arme, puis tentatives d'homicide pour avoir suriné quelques ennuyeux. Ce sont les musicologues Lomax père et fils qui le repèreront en 1933 à la prison d'Angola en Louisiane alors qu'ils cherchaient à faire des enregistrements pour le compte de la 'Librairie du Congrés' ; un an plus et une pétition plus tard, Huddie est libéré à l'été 34. Et c'est parti pour une belle carrière musicale qui faillit être interrompue en 1939 pour, encore et toujours, un malheureux petit coup de surin … mais il n'y eût pas mort d'homme.
Leadbelly composera une partie de son répertoire mais il était, avant tout, ce que les américains appellent un "Songster". Soit quelqu'un qui remonte à la surface un air venu du fond des âges, généralement transmis de bouche à oreille, l'adapte et lui offre de nouvelles paroles. C'est ainsi que naîtront les "House of the Rising Sun", "Rock Island Line" ou "Goodnight, Irene" qui feront le bonheur d'une foule d'artistes des générations suivantes … toutes disciplines confondues. A la croisée du blues, du folk et bien plus encore, il eut une profonde influence sur les monuments que furent Pete Seeger et Woody Guthrie avec lequel il enregistra souvent. Sur ses enregistrements, on retrouve fréquemment des gens au répertoire varié, ainsi Odetta, Cisco Houston, Josh White, Brownie McGhee et Sonny Terry ou Blind Willie Mc Tell, autre adepte de la guitare 12 cordes. Son influence sur la musique populaire américaine fût si grande qu'il fût introduit au 'Rock and Roll Hall of Fame' dès la troisième année d'élection d'artistes (1988) ; avec, et dans la même catégorie que Woodie Guthrie –ce n'était que justice !
Cette présentation posée, revenons à notre album qui fût en grande partie enregistré 'Live' dans la salle intimiste parisienne du Sunset avec le quatuor du concert ci-dessus, soit Eric Bibb (chant/guitares), J.J. Milteau (harmonicas), Gilles Michel (basse) et Larry Crockett (batterie). Des amis invités se sont joints au groupe à l'occasion de quelques morceaux. C'est ainsi qu'on retrouve aux chœurs Michael Robinson ("On a monday ; "Stewball") et Big Daddy Wilson, l'ami et le disciple aujourd'hui installé en Allemagne ("Swing low, swing chariot", "On a monday", "Pick a bale of cotton" et "Stewball"). Côté musiciens additionnels, on trouve l'anglais Glen Scott (batterie, basse et claviers) et le canadien Michael Jerome Browne (guitare 12 cordes et mandoline).
La version de base de l'album comporte 16 titres ; les onze premiers ont été enregistrés avec public au Sunset et sont complétés par cinq morceaux gravés en studio. Onze de ces plages sortent du livre de chansons de Leadbelly et comptent parmi les plus célèbres les trois autres sont signées Eric Bibb (Chauffeur blues et Swimmin' in a river of songs) et Bibb/Milteau (When I get to Dallas). Ces trois compositions racontent des épisodes imaginées de la vie de Leadbelly, ainsi la dernière imagine son arrivée à Dallas dans sa prime jeunesse. La version 'DeLuxe' offre un bonus de trois chansons issues du concert du Sunset mais qui ne viennent pas du répertoire de Leadbelly puisqu'il s'agit de "Don't ever let nobody drag your spirit down", une compo d'Eric; de "Goin' down slow", l'énorme classique de Jimmy Oden et de "I heard the angels singing", un titre du Révérend Gary Davis
Quoiqu'il en soit, il n'y a aucun temps faible sur cet album et il est difficile de mettre un titre en valeur plutôt qu'un autre. D'aucun adorerons les versions lentes de "Goodnight, Irene" ou de "House of the Rising Sun", certains seront plus attirés par l'ambiance cajun de "Grey goose" ou "Midnight special" enfin, d'autres se laisserons emporter par la belle version du très connu "Rock Island Line" où Eric et J.J. mène le convoi sur de jolis rails installés par rythme de Larry Crockett. L'entente parfaite entre les membres de ce quartet dont je vous ai parlé à propos du concert est tout à fait palpable sur cet album qui devrait faire repère dans leurs carrières respectives Personnellement j'aime tout, de la première à la dernière plage et je considère que ce CD est une toute première production de l'année 2015. Il faut d'ailleurs noter que même sur les sites spécialisés US, cet album est le mieux noté d'Eric Bibb depuis 'Me to you' en 1997; il y en a pourtant eu 22, tous bien appréciés, entre ces deux-là !

Présentation de l'album : https://www.youtube.com/watch?v=BvXTvpXZqg4
'Leadbelly' de Gordon Parks/1976 (prévoir 2h) : https://www.youtube.com/watch?v=bt5Y4fKY5Qw

 

 

Gilbert Béreau