WEBZINE FEELING BLUES N°16

 

   CARREFOUR DES AMOUREUX DU BLUES DANS LE SUD

              Trimestriel

 

     octobre / novembre / décembre 2015

 

 

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Chanteuses de Blues ou L'Éloge des Rebelles par Jean-Louis Guinochet.


Première partie : de Mamie Desdoumes à Ma Rainey et Bessie Smith (voir n°14)

Deuxième partie : de Billie Holiday à Big Mama Thornton et Janis Joplin (voir n°15)
Troisième partie : d'Etta James à Nina Simone et Amy Winehouse et fin.

 


 

Par Jean-Louis Guinochet

De qui les bad girls contemporaines sont-elles les héritières ?

 

 

D'Etta James à Nina Simone et Amy Winehouse

 

 

 

Sa mère, Dorothy Hawkins, l'ayant mise au monde à seize ans,

Etta James fût donc élevée par une ado, comme ce fût déjà le cas pour son idole Billy Holiday. Née à Los Angeles en 1938, Jemesetta Hawkins eut beaucoup de mal à connaître la véritable identité de son père. De sa paternité, elle ne retiendra aucune des nombreuses versions données par Dorothy, préférant croire celle d'un ami de la famille qui disait que son père était Minnesota Fats, un prestigieux joueur de billard professionnel blanc; une version que son teint plutôt clair rendait la plus crédible à ses yeux.


Après la naissance d'Etta, sa mère Dorothy, envoyée en maison de redressement, en confia la garde à sa soeur, tenancière d'un bordel. Celle-ci la "refila" rapidement à Jesse et Lula Rogers, les ex-logeurs de Dorothy, un couple sans enfant qui l'élevèrent pratiquement comme leur fille. Chez eux, Jamesetta, trouve de l'amour, une stabilité familiale et un encouragement pour ses goûts musicaux précoces, mais le manquement de ses véritables parents lui laissera de profondes cicatrices affectives qui la marqueront pour la vie. La grande chance durant sa tendre enfance passée à South Central Los Angeles fut la rencontre avec un très grand de la musique Gospel, James Earle Hines, maître de la chorale de l'église baptiste Saint-Paul, qui détecta son talent et fit travailler sa voix. C'est dans cette église noire qu'Etta James, comme Bessie Smith avant elle, a trouvé la force vocale de la tradition afro-américaine qu'elle transposera par la suite dans la musique populaire de son époque. Jamesetta n'a que treize ans quand sa mère d'adoption, qu'elle appelait Mama Lu, mourut. C'était en 1951. On l'envoya brutalement retrouver sa mère Dorothy à San Francisco. Là, sous l'oeil détaché d'une mère sans grande affection, elle mène une vie chaotique qui la fait grandir d'un seul coup. Elle intègre plusieurs bandes de filles vêtues style "Graine de Violence" (grandes chemises d'homme, blues-jeans , socquettes blanches et tennis), chaparde dans les magasins des objets fantaisies qu'elle revend pour acheter des disques... de Guitar Slim et chante dans la rue avec des groupes de "doo-wop", une pratique à la mode chez les ados noirs de l'époque.





Elle monte son premier groupe, les Creolettes, avec deux amies, groupe qui a beaucoup de succès dans les soirées et les tournois amateurs de la ville. Son premier succès fût la création d'une "chanson-réponse", "Roll whith me, Henry", une réponse à "Work whith me, Annie", une chanson de Hank Ballard and the Midnighters, un groupe de rhythm and blues célèbre pour son rock bluesy aux paroles suggestives ("work" étant un euphémisme pour désigner l'acte sexuel). Présentée à Johnny Otis, un chef d'orchestre de rhythm and blues découvreur de talents pour les disques Modern, la chanson fût enregistrée quelques semaines plus tard, les Creolettes devenant Etta James and the Peaches. "Roll whith me, Henry" chanté par une jeune fille d'à peine quinze ans dont la voix douce et âpre promettait bien plus qu'une simple danse deviendra rapidement numéro deux du hit-parade de Billboard dans la catégorie rhythm and blues, même si certaines stations de radio refusèrent de la passer à cause de ses sous-entendus sexuels. Elle fût rebaptisée "The Wallflower" ("La Tapisserie") par allusion à la réticence d'Henry à venir danser. Durant les cinq années où elle resta chez Modern Records, elle ne toucha que 25 à 30 $ pour les droits de publication de chacune de ses chansons, le vrai partage se faisant entre les frères Bihari propriétaires de Modern, et Johnny Otis et sa femme Phyllis. Ce marché de dupes ne sera malheureusement pas le dernier pour Etta qui ne se préoccupait que de musique. Même B.B. King, distribué à l'époque par Modern, avait un accord non officiel avec les frères Bihari. S'il avait besoin d'argent, il pouvait en demander en fonction de ses besoins, 50 $ pour acheter des vêtements, 100 $ pour payer le loyer...





A dix-sept ans, Mlle James avait tout d'une femme et ne se privait pas de dire que, comme les autres femmes, elle aimait le sexe et ne se gênait pas pour demander ce qu'elle voulait. Elle parlait du sexe comme faisant partie de l'amour romantique et non comme une faveur qu'une jeune fille "bien" devrait refuser à son petit ami. Comme les premières chanteuses de blues qui étaient rares à dire que les plaisirs du sexe ne devaient pas être exclusivement réservés aux hommes, Etta James fût la pionnière d'une nouvelle forme musicale dont le succès servit d'inspiration à celles qui la suivirent dans le rhythm ans blues et le rock and roll. Outre sa voix qui l'a rendu célèbre, elle a eu besoin d'apporter une part de provocation à son look qui, contrairement à celui de Janis Joplin, fût totalement fabriqué : "Je ne voulais pas avoir l'air innocent", "Je voulais être remarquée, je voulais être glamour", "Il y avait une part de provocation dans mon look". À l'image de Ma Rayney, Bessie Smith et Billie Holiday, Etta James semblait parler au nom de ceux qui se sentaient exclus par la société américaine. Loin de l'image des chanteuses qui se produisaient avec d'élégantes robes du soir, ce sont ses amis gays et les drag-queens, dont elle s'entourait pour leur sensibilité et leur gentillesse, qui lui façonnèrent son look et remodelèrent l'image de la jeune délinquante en blonde platine aux sourcils tracés au crayon, aux yeux dessinés à la Cléopâtre, aux lèvres blanc nacré, à la silhouette fuselée par des jupes hypermoulantes portées surtout sans bas pour que les mecs puissent voir perler la sueur sur ses jambes.



Passé les années 50, elle quittera Modern et les frères Bihari pour signer en 1960 avec les frères Leonard et Phil Chess. Le légendaire label Chess de Chicago avait dans son écurie la plupart des grands bluesmen de l'époque et paraissait bien supérieur au label régional qu'était Modern. Durant les 15 années où elle reste sous contrat avec eux, elle gravera des disques remarquables (qui engendreront des titres comme "At Last", "Tell Mama" repris par Janis Joplin ou "I'd Rather Go Blind" repris par Rod Stewart) qui, malheureusement, ne feront jamais décoller sa carrière. Chess n'a pas réussi avec Etta James, ne s'ouvrant pas au public blanc, là où il y avait le plus d'argent. Il est évident que sans le talent prodigieux qui était le sien, les frères Chess ne l'auraient pas gardé aussi longtemps. De son côté, Etta restant dépendante à l'héroïne jusqu'à la fin des années 70, s'occuper de sa carrière était loin de ses premières préoccupations, d'autant que les tournées incessantes qui la menèrent à travers tous les États-Unis de 55 à 65 étaient devenues un mode de vie qui l'empêchait de prendre du recul. Dans le sud où son style était apprécié, la ségrégation se faisait particulièrement sentir. Harcelée parce qu'une femme blonde au teint clair voyageait dans un car de musiciens noirs, elle aimait provoquer la police en ne dévoilant pas son identité raciale, ne capitulant que lorsque la question était directement posée : "Vous êtes une blanche ou une négresse?", elle répondait enfin "Non, je suis pas une foutue femme blanche". L'ascendance d'Etta James était mélangée, mais son expérience de Jim Crow confirmait ce qu'elle savait déjà : la société impose aux gens leur identité raciale, pas la biologie. Etta résistait aux règles de la société comme elle le pouvait, se décolorant les cheveux, se poudrant le visage et répliquant aux flics. En tournée, si elle vivait presque exclusivement entourée d'hommes, elle n'avait que très rarement de relations sexuelles et aucun petit ami. Si elle se liait facilement d'amitié avec ceux qu'elle rencontrait, cela restait très platonique. Se procurer de la drogue avait fini par capter l'essentiel de son énergie. L'héroïne était devenue son histoire d'amour. L'héroïne apportait des solutions provisoires à son immense manque affectif tout en détruisant sa carrière.

Elle décrocha à plusieurs reprises mais retomba à chaque fois, toujours en recherche de son identité, ne sachant choisir entre le côté clair ou obscur de la vie. Comme Billie holiday, Etta James était attiré par des hommes forts, confondant souvent cette force avec la violence et ses deux principales relations furent catastrophiques. Pourtant, malgré tout cela, elle continua à chanter quotidiennement sur scène et à enregistrer en mettant en avant son talent d'artiste que ses admirateurs trouvaient plus authentiques que les produits de l'industrie de la musique soul et rhythm and blues.  "Pourquoi n'y a-t-il pas eu de luxueux albums anniversaires, de triomphales tournées européennes, des hommages dans le Ed Sullivan show ? s'interrogeait en 1971 dans Rolling Stones le critique Robert Palmer. Pourquoi Etta James se produit-elle toujours dans des clubs du ghetto ou pour des engagements d'une soirée ? Se pourrait-il que ce soit parce qu'elle a tant de soul et que ça se voit ?"(1).

 

 

La célébrité n'intéressait pas Etta :"J'étais une fille du peuple. Je me fichais pas mal de toutes ces conneries de stars"(2).  Même quand la musique noire connut de grands succès populaires au début des années 70 (Otis Redding, James Brown) l'absence d'Etta James dans le peloton de tête fût certainement dû à la totale absence d'organisation de sa part, la musique populaire étant une industrie nécessitant à priori un projet commercial, et son obstination à refuser de jouer les stars en est aussi en partie responsable.

 

Elle survécut malgré tout, et dans les années fin 70 début 80, sa musique commença à être reconnue. Fin 70, les Rolling Stones, ses fans de toujours, l'invitèrent à faire la première partie d'une de leur tournée. Devenu un ami, Keith Richard s'invitait à l'improviste dans des clubs pour l'accompagner.
Ce n'est qu'en 1993, enfin débarrassée de ses addictions pour la drogue et les hommes violents, qu'elle  fût enfin introduite au Rock and Roll Hall Fame et remporta son premier Grammy Award pour son album "Mystery Lady", inspiré par Billie Holiday, en 1995.

 

Depuis la liste de ses récompenses et distinctions s'est très copieusement allongée, mais le plus important est qu'elle laisse derrière elle une oeuvre riche de Rock and Roll, de Jazz et de Blues, gravée sur une bonne vingtaine d'album. En janvier 2012, à 73 ans, Etta James meurt d'une leucémie à l'hôpital de Riverside en Californie, entourée de ses fils Donto et Sametto James et de son mari Artie Mills.

 

Depuis son enfance passée à l'église baptiste Saint-Paul, elle aura apporté à sa musique toute la force soutirée au Gospel, instillant dans ses chansons les plus populaires, les plus païennes et les plus sensuelles toute l'intensité et la puissance d'une divine chorale. Etta James aura ainsi défriché un nouveau territoire et ouvert une voix royale à celle qui deviendra la "reine de la soul", Aretha Franklin.


1. Robert Palmer, "Etta James : Peaches" (critique de disque), Rolling Stone. 21 décembre 1971. page 66.
2. Ibid, page 198.

 

 

 

 

 


 

Son grand rêve de jeune pianiste classique était de devenir "la première concertiste afro-américaine", mais quand le Curtis Institute de Philadelphie refuse d'accepter sa candidature, pour la jeune Eunice Kathleen Waymon qui deviendra plus tard Nina Simone, c'est un choc !  Elle précisera dans ses mémoires avoir déclaré ce jour là : "La musique, pour moi, c'est terminé". S'étant sentie, à tort ou à raison, victime d'une immense injustice raciste et rêvant d'une une vie meilleure, ce sera pourtant l'évènement qui déclenchera le départ d'une longue carrière de chanteuse consacrée à dénoncer les inégalités. Née en 1933 en Caroline du Nord, Nina Simone avait dès sa petite enfance côtoyé les inégalités dans un pays où la ségrégation était encore tout à fait habituelle dans les années 40, tenant déjà à 6 ans le piano dans une église méthodiste uniquement fréquentée par des Afro-Américains et donnant d'autre part dès l'âge de 12 ans de petits concerts de pièces classiques devant un public strictement blanc. (Nina Simone racontera plus tard que lors de son premier récital, ses parents, qui avaient pris place au premier rang, ont dû se déplacer à l'arrière de la salle pour faire place à des blancs. Elle ajouta qu'elle avait refusé de jouer jusqu'à ce que ses parents aient repris leur place au devant de l'audience). Sa prise de conscience de vivre dans un monde hostile à son égard s'était  donc fait assez tôt et cette "affaire" de l'Institut Curtis qu'elle suppose être de la discrimination (elle était la seule élève noire de sa promotion) orientera définitivement sa vie.

Curtis Institute de Philadelphie


 

Hormis peut-être la pauvreté familiale, la pugnacité, bien sûr le talent, et "d'avoir pris conscience d'être noire dans un pays dirigé par les blancs et femme dans un monde dominé par les hommes", elle a peu de choses en commun avec toutes celles qui l'on précédé (voir le début de cet article depuis le numéro 14). Ni l'enfance, l'éducation, l'allure, le caractère, les moeurs, l'alcool ou les stupéfiants n'ont eu de communes mesures dans leurs vies. En tous cas, plus militante que rebelle, Nina Simone restera un cas à part parmi les grandes artistes qui ont marqué ce siècle, se différenciant de toutes les autres artistes en privilégiant un choix de répertoire qui doit avant tout pouvoir servir la cause des Afro-Américains, peu importe que la chanson soit du blues, de la comédie musicale, de la chanson africaine ou de la folk music...

Elle a un peu plus de 20 ans lorsqu'elle prend pour nom d'artiste Nina Simone, cachant ainsi à sa famille son nouveau métier de pianiste et chanteuse qu'elle exerce au Midtown Bar & Grill, un bar de Jazz d'Atlantic City, où elle prendra résidence pour trois saisons, affichant complet tous les soirs.

Le jour où elle avouera à ses parents d'où vient l'argent qu'elle leur envoie tous les mois, cette révélation coupera les derniers liens avec sa mère qui considérait cette musique comme «la musique du diable». Dans un premier temps elle ne joue que du piano, puis sous la pression de son employeur, elle se mettra également à chanter, mélangeant dans ses compositions le jazz, le blues et la musique classique. Cet original mélange des genres attire autour d'elle un groupe d'admirateurs fidèles. À cette époque, vers 1956, ce qu'elle enregistre contient déjà des allusions à peine voilées sur la condition des noirs aux États-unis. En 1959, son installation dans le sud de Harlem à New-York où elle côtoie les milieux intellectuels accélérera le processus. Pionnière dans l'écriture et l'interprétation de morceaux "africains" qu'elle enregistre pour Coplix, en 1961 elle part pour l'Afrique avec James Baldwin et Langston Hughes, deux écrivains aux propos activistes, et donne en compagnie de Lionnel Hampton quelques concerts au Nigeria.


 

De ce voyage, elle reviendra très marquée par ce continent dont l'influence se retrouve autant dans ses choix vestimentaires, coiffures et bijoux, que dans l'écriture de ses propres textes ou le choix de ses chansons de plus en plus engagées ("Brown Baby" ou "Work song" d'Oscar Brown Jr. La première est un appel à marcher vers la liberté, la seconde est un "Chant de travail" réactualisé, le narrateur racontant qu'il a été poussé au crime par la faim et la pauvreté). L'époque est aux violences "interraciales" qui secouent les États-Unis avec entres autres l'assassinat du militant Medgar Evers et l'attentat dans l'église de Birmingham tuant quatre jeunes écolières noires. Elle écrit "Mississippi goddam" sous la colère en une heure. Cette chanson ultraprovocante que probablement aucune autre artiste n'aurait pu composer tant la prise de risque était importante s'impose à l'été 1964 comme l'hymne des droits civiques et contribuera à ce que sa vie bascule définitivement vers un militantisme radical. Certains diront, dont sa fille, que dès 1963 des symptômes dépressifs avaient était décelés chez la chanteuse et que ces troubles mentaux auraient pu modifier sa capacité à se fixer des limites. Elle sera excessive dans ses implications sur le terrain, militant dans les grands rassemblements (Salute to Freedom "63") et les grands concerts (au Miles Stadium ou pour le Congress of Racial Equality), disant dorénavant les choses ouvertement en co-écrivant "Old Jim Crow", entre autres. Les causes qu'elle défend gagnent semble-t-il du terrain, Martin Luther King est désigné prix Nobel de la paix en octobre 1964.

 

Marche de Selma à Montgomery à laquelle participe Nina Simone en mars 1965.

 

 

À l'été 1965, Nina part prêcher la bonne parole en Europe dans six pays différents, cherchant à chaque fois à sensibiliser le public aux problèmes du racisme. En France elle dira dans Jazz Hot : "Chaque fois que je vais dans un nouveau pays, je me sens obligée d'inclure dans mon répertoire des chants qui affirment orgueilleusement ma race". Pour les critiques, elle est l'héritière qui renouvelle l'image de la chanteuse de blues. Les tenues et les accessoires aux motifs africains sont en totale rupture avec les robes fourreau et les gardénias que le public, dans son souvenir, avait gardé de Billy Holiday. Afficher cette négritude, est-ce de la fierté, de la provocation, du militantisme, de la souffrance ?...une revanche ? Enregistrée en 1965, "Four women", quatre stéréotypes de femmes qui souffrent, l'une née d'un viol, l'autre fille d'esclave et la troisième prostituée, dont elle dira dans son autobiographie : "femmes noires, mais dont la couleur de peau va du plus clair au plus sombre, ce qui affecte profondément leur conception de la beauté et de leur valeur". Un comble, considéré comme trop violente et raciste, cette chanson sera interdite sur de nombreuses radios.

 

 



Sur le terrain, l'Amérique a balayé le mouvement et les espérances ont tourné au désespoir. En 1967, "The High Priestess Of Blues" sort chez Philips, suivi de "Nina Simone Sings The Blues" (qui comprend "Blacklash Blues", littéralement : "Le vent et la pluie succèdent à une tornade", écrit par son ami et poète Langston Hughes) et "Silk & Soul" (qui comprend "I Wish I Knew How It Would Feel to Be Free",  littéralement : "J'aimerais savoir ce que ça fait d'être libre" écrit par Billy Taylor) deux albums qui paraissent sur RCA Victor.
Martin Luther King sera assissiné le 4 avril 1968 à Memphis.




L'album "Nuff Said" (Assez parlé) contient des chansons enregistrées le 7 avril 1968 en public dans la salle de spectacle du Westbury Music Fair à New York, trois jours après l'assassinat de Martin Luther King. Elle lui dédie tout le spectacle et chante "Why? "(The King of Love Is Dead), une chanson écrite par son bassiste Gene Taylor, peu après l'annonce de la mort du pasteur. Cet hommage sera nommé aux Grammy Awards.
En collaboration avec le compositeur Weldon Irvine, elle transpose en chanson pour les droits civiques la pièce inachevée intitulée To Be Young, Gifted and Black de la dramaturge américaine Lorraine Hansberry. Hansberry était une amie avec qui elle reconnaît avoir développé sa conscience sociale et politique. Elle chante la chanson en live sur l'album Black Gold (1970). Un enregistrement studio est paru en single et la chanson a été reprise plus tard par Aretha Franklin sur l'album Young, Gifted and Black sorti en 1972 avec Donny Hathaway.




 

En septembre 1970, Nina Simone, épuisée par son combat contre le racisme et usée par sa maladie mentale quitte les États-Unis en direction de la Barbade, laissant derrière elle son dernier mari et manager Andrew Stroud. Quatre ans plus tard, la chanteuse Miriam Makeba, une amie proche, la convainc de s'envoler avec elle pour le Liberia. Elle y emmènera sa fille Lisa. Par la suite, elle partira vivre en Suisse, à Paris, aux Pays-Bas, avant de s'installer en France en 1993 près d'Aix-en-Provence.

Le club de jazz Ronnie Scott's à Londres où Simone enregistre l'album "Live at Ronnie Scott" en 1984.

 

Durant cette période, elle enregistre plusieurs albums parmi lesquels on peut retenir "It Is Finished" (1974), "Fodder On My Wings" (1982), "Live At Ronnie Scott" (1984) et "Let It Me Be" en live (1987), "The Single Womenn (1993) et donnera quelques concerts dont celui de sa dernière apparition en France qui remonte à août 2000 sur une scène du festival Jazz in Marciac dans le Gers.
En 1999, elle est récompensée pour l'ensemble de sa carrière au Music Award à Dublin. Elle reçoit en 2000 le prix de Diamond Award for Excellence in Music de l'association de la musique afro-américaine de Philadelphie.

Robert Kelly, Lisa Simone et Crystal Fox aux funérailles de Nina Simone le 25 avril 2003 à Carry Le Rouet, France. Photo Christian Aliminana.


Le 21 avril 2003 elle décède d'un cancer dans le sud de la France à Carry-le-Rouet dans les Bouches-du-Rhones. Elle avait 70 ans. Selon ses souhaits, ses cendres ont été dispersées dans plusieurs pays africains.

 

 

 

 

Pour terminer cette longue saga sur les chanteuses de blues rebelles,  j'ai choisi      Amy Winehouse

À priori, on peut la considérer très facilement comme une chanteuse rebelle mais plus difficilement comme une vraie chanteuse de blues. C'est bien normal puisque dans cet article elle prend la place du dernier maillon d'une chaine qui a démarré il y a plus d'un siècle et j'avais précisé au départ que je ne parlerais que de celles qui nous ont déjà quitté.
Pourtant, si on considère que depuis plus d'une trentaine d'années l'héritage de cette musique est de plus en plus imprécis et que le statut du blues lui-même et son esthétique ont changé, nous sommes en droit de se poser la question.

 

 

 

 

Amy Winehouse, c'est l'histoire d'une jeune britannique, blanche et juive, qui, après avoir entendu cette musique comprend que c'est une ressource trop importante pour être ignorée. Comme toutes avant elle, elle écrit des chansons inspirées de sa vie personnelle, consciente qu'elles sont assez universelles et contemporaines pour que d'autres les comprennent et s'y identifient. En véritable écorchée vive elle repousse les limites de l'écriture, ne cherchant jamais à nier sa souffrance. Musicalement ses chansons ne ressemble pas au blues, mais leur source émotionnelle est la même que celle du blues. Contrairement à Janis Joplin, elle ne rend pas hommage à ses ainées et sa musique semble très éloignée de Bessie Smith ou de Billy Holiday. En revanche, elle y instile suffisamment de feeling pour que cette musique respire la blues attitude, au même titre que la qualité épique de la vie quotidienne scandée sur un rythme de rap et les hurlements de la guitare de Jimi Hendrix. La presse compare sa voix tantôt à Etta James, à Édith Piaf ou à Aretha Franklin, d'autres à Macy Gray ou Sarah Vaughan, on fait là le grand écart. Elle avait tout simplement une voix de blanche sublimement touchante faite de puissance et de subtilité, capable de se promener des graves aux aigus avec une aisance intriguante. Pour autant, si je la reconnais comme une réelle héritière du blues, je considère qu'elle a fait une autre musique qui n'est ni moins belle ni moins légitime, à l'instar de toutes les autres musiques où on entend du blues, qu'elles soient soul, rock, rhythm and blues, hip-hop, disco...

J'ai du mal à imaginer qu'Etta James soit décédée 7 mois après Amy Winehouse. Le 20 janvier 2012 pour Etta, le 23 juillet 2011 pour Amy. Disparaissant à l'âge fatidique de vingt-sept ans, elle rejoint donc ce "stupide club", comme le disait Madame Cobain dont le fils Kurt s'était suicidé par balle avant d'avoir fêté ses vingt-huit ans. Un club qui compte parmi ses membres Robert Johnson, Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison...pour ne citer que les plus connus.


"La vie est courte et on apprend tous les jours" avait-elle répondu en 2007 à un journaliste qui lui demandait quelle était la plus importante leçon que l'existence lui avait donnée. De fait, comme beaucoup de chanteuses de blues avant elle, elle aura été très précoce dans ses apprentissages.

 

 

Amy est née le 14 septembre 1983 à Southgate, dans le quartier Einfield à Londres, dans une famille modeste. D'une mère née à Brooklin et d'un père anglais amoureux de jazz bien que chantant du Frank Sinatra à longueur de journée, Amy, comme son père, prend l'habitude de chanter au point que ses enseignants se plaignent de son manque de concentration en classe. Elle suit ses premiers cours de chant dès l'âge de huit ans et monte son premier groupe à neuf ans avec son amie d'enfance, Juliette Ashby, avec qui elle fera les quatre cent coups jusqu'à l'adolescence.

L'année de ses neuf ans est une année terrible pour Amy, c'est l'année où la séparation de ses parents ébranlera son monde fragile, l'année où elle avoue avoir commencé l'automutilation, une habitude qui, en dehors de quelques répits, ne la quittera pratiquement plus. Amy voit moins son père et en souffre. Elle avouera plus tard que la colère palpable dans ses chansons a surement un lien avec cette absence.

À onze ans elle entre à la Ashmole Secondary Scool de Southgate, un collège local où sont valorisés les arts et la musique.


Avec sa meilleure amie Juliette Ashby, Amy a toujours écrit ses morceaux.

 

À treize ans, forte de cette expérience, elle décide de passer une audition pour obtenir une bourse, projetant d'entrer à la Sylvia Young Theatre School, l'une des plus prestigieuses écoles de spectacle de Londres. Sur huit cent candidats, deux sont acceptés, dont Amy.

Sylvia Young, la directrice dira dans un article du Daly Mail de 2007 : "Il m'est difficile de dire à quel point je l'ai trouvé unique, aussi bien en tant que compositrice qu'en tant qu'interprète, dès qu'elle a franchi les portes de l'école... Elle avait le potentiel pour devenir une Judy Garland ou une Ella Fitzgerald.... Je l'ai auditionnée moi-même. Elle a joué, démontrant un certain potentiel de comédienne. Elle a dansé et nous a montré qu'elle savait bouger. Mais c'est quand elle a chanté qu'elle nous a tous époustouflés. Elle n'avait pas encore la voix profonde qu'elle a maintenant, évidement, mais sa manière d'interpréter On The Sunny Side Of The Street était riche et merveilleuse à la fois". Sur les trois années d'études prévues, elle n'en fera qu'une. Elle s'ennuie, l'école ne sait pas comment épanouir le talent si particulier de cette authentique artiste. Elle se montre rebelle à tout ce qu'on lui impose, ne portant jamais l'uniforme convenablement, mâchant du chewing-gum en classe et arborant un piercing à la narine (qu'Amy prétend s'être percée toute seule dans sa chambre).

Amy écrit ses premiers morceaux. "Je ne peux raconter que des histoires vécues, même si elles sont tristes".
Son petit ami du moment, James Tyler, chanteur de soul, va la pousser et présenter une maquette chez Island Records. Bingo ! Elle signe chez Island/Universal avec Simon Fuller de 19 Management et avec la maison d'édition IME. La sortie de "Frank", son premier album, sera un choc !
 

L'album sort en octobre 2003. À part deux reprises, Amy a écrit ou co-écrit, dans le cas de "I Heart love Is Blind", toutes les chansons. Que peut-on entendre sur "Frank" ? En introduction, Amy chante à la manière des chanteuses de jazz traditionnelles, une manière de présenter la couleur du disque. La deuxième chanson, "Stronger Than Me", est une rythmique soul-blues sur laquelle Amy navigue des graves aux aigus avec une aisance insolente. La voix est puissante, subtile, un brin vintage mais exceptionnelle, se classant dans la catégorie des grandes divas. Le texte est brut, c'est une récrimination très directe envers un homme à qui elle reproche son manque de virilité. Une vision décapante de ce "nouvel homme" vantée dans les magazines qui se retrouve hâché menu par une jeune anglaise effrontée et rebelle. Sur "You Sent Me Flyng", une ballade soul R'nB au piano, Amy y raconte la manière dont son amant l'a envoyé promener, mais vers la fin de la chanson elle s'aperçoit qu'elle n'était pas si amoureuse et constate que lui, au contraire, l'était. Le reste de l'album est a l'avenant, "Fuck Me Pumps" est une satyre acide des bimbos sur hauts talons qui rêvent d'épouser un footballeur, comme Victoria Beckham. L'histoire se termine par une conclusion plus tendre : après tout, si ces filles n'existaient pas, avec leurs chaussures "fuck me" et leurs seins refaits, le monde de la nuit serait moins drôle et les pauvres footballeurs condamnés à la monogamie. À la sortie du single, Amy remarquera que : "Dans le clip, j'articule les mots "funk me", mais ils ont enlevé le son au montage ! La première fois que j'ai vu ça, j'ai dit "funk alors ! où est mon "funk" ? J'ai dit "funk là !". C'est pas cool, en effet. "I heard Love Is Blind" est une chanson douce sur des accords de guitare acoustique et une batterie caressée par des balais à la manière jazz, plaidant pour une infidélité qui n'en est pas vraiment une, dit-elle, puisque l'homme avec qui elle trompe son partenaire un soir de beuverie lui ressemblait comme deux gouttes d'eau. En plus, "elle n'a pensé qu'à lui lorsqu'elle a joui". Imparable !

Bref, un album décapant décortiqué par une presse largement aidée par le franc-parler d'Amy qui est loin des réponses formatées auxquelles se prête la majorité des artistes pop dans les interviews. Mais l'imperméabilité d'Amy à la langue de bois et ses remarques bien senties ne sont pas réservées qu'aux autres : "Je n'ai jamais entendu l'album du début à la fin. Je ne l'ai même pas chez moi" Le marketing est un massacre, la promo nulle. Tout est désastreux. C'est frustrant, parce qu'on travaille avec des idiots, mais comme ce sont des idiots sympas, on ne peut pas leur dire qu'ils sont idiots. De toute façon, ils le savent déjà". Elle reproche à sa maison de disque un manque de créativité "Tout ce qu'ils font, c'est imiter ce qui a déjà été fait et je ne veux pas reprendre ce qui a déjà était fait. J'ai horreur de la médiocrité,...je veux être vraiment originale. Je n'ai pas qu'une seule corde à mon arc, j'en ai cinq". La scène en est d'ailleurs l'une des principales. L'album a du mal à décoller, mais après sa tournée en Angleterre, elle est nominée aux Ivor Novello Awards dans la catégorie "meilleure chanson contemporaine" pour  "Stonger Than Me" et remporte la distinction. Le lendemain, les ventes de "Frank" s'envolent, dépassant 250 000 exemplaires en quelques semaines. Elle enchaine les festivals d'été et devient en un an une star en Grande-Bretagne et reçoit de l'Europe des critiques admiratives.

Avant de passer à une autre étape, elle souhaite souffler un peu, prétextant à sa maison de disque qui désirerait la revoir au travail qu'elle n'a pas grand chose à raconter et qu'il lui faudrait une tragédie sentimentale à se mettre sous la dent pour se remettre à écrire. Si seulement elle avait su...
En 2004, elle est déjà très (trop) alcoolique et a une terrible tendance à se consumer vite fait. Un journaliste américain lui demande si elle prend des drogues. Elle répond : "Je n'ai pas le temps". Il lui demande alors si elle est alcoolique : "Je ne sais pas. Je bois vraiment beaucoup. À un moment, je me postais devant le pub avant qu'il n'ouvre et je tapais à la porte jusqu'à ce qu'ils ouvrent". Elle cherche les problèmes, et même les recherche parce qu'elle croit qu'ils alimentent ses névroses indispensables, pense-t-elle, à sa créativité.





Black Fielder-Civil et Amy.


En tout bien tout honneur, elle fréquente un certain Blake Fielder-Civil, le "boyfriend" d'une de ses amies. Le garçon à ne pas toucher, en somme. Comme par hasard, Blake est justement son type d'homme, grand, cheveux et yeux foncés, le corps couvert de tatouages. Amy tombe amoureuse de ce garçon qui ne fait pas grand chose si ce n'est passer avec elle de longs moments à écouter le jukebox, jouer au billard et se rouler des pelles à The Hawley Arms, le pub le plus proche. Amy, toujours excessive, a tellement son mec dans la peau que leur relation devient agitée et au bout de six mois, Black, prenant les jambes à son cou (manière de courir pas commode du tout !), retourne retrouver sa copine.



Pour Amy c'est la débâcle, retombant dans le gouffre des ses angoisses et de sa dépression, buvant de plus en plus pour tenter d'oublier, se met à écrire pour conjurer sa douleur. Elle est boulimique et maltraite son corps. Elle s'invente un régime et l'expliquera ainsi : "Tu prends de la nourriture, tu la mâches pour avoir le goût, tu avales le goût et tu recraches le reste". Conjuguée à une pratique de la gym intensive, sa perte de poids est vertigineuse malgré son addiction à l'alcool qui ne l'a pas quitté, commençant à inquiéter ses amis, sa famille et les représentants de sa maison de disques.

 

 

 

Mais Island Records a la bonne idée de lui présenter Mark Ronson, un producteur à la mode, dans l'idée de lui faire coproduire son prochain album avec Salaam Remi. Bien que Mark vive aux Etats-Unis, ils ont en commun d'être tous les deux blancs, anglais, juifs et fans de musiques noires. Ils s'entendent rapidement sur une ligne artistique simple et pratique qui consistera à faire ce qu'ils veulent sans tenir compte de l'aspect commercial du projet.

 

Mark Ronson et Amy au Earls Scourt pour  la cérémonie des Brit Award le 20 février 2008 à Londres.



"They tried to make me go to rehab, I say no,no,no" (1),  c'est ce qu'Amy lance en tout cas à Mark Ronson début 2006 : "Nous sommes rentrés en studio et elle s'est mise à chanter cette phrase, en marquant le tempo par un claquement de doigts, comme pour un blues... Après on a commencé à habiller le morceau..." dira Mark Ronson. À sa sortie en Grande-Bretagne fin octobre 2006, "Back To Black" a tout d'un chef d'oeuvre. Les critiques sont dithyrambiques pour Amy, tantôt comparée à Etta James ou Aretha Franklin. À plusieurs reprises lors de son exploitation, il se place à la première position des charts anglais. Pour sa sortie aux États-Unis, en mars 2007, il se classe au septième rang du Billboard 200. En décembre 2007, l'album est six fois certifié disque de platine au Royaume-Uni et finit l'année comme l'album le plus vendu.

(1) "Ils essaient de m'envoyer en cure de désintox, je dis non, non, non."

 

 

 

                                                                                   Le 09 juin 2007 au Festival de  l'Île de Wight.

 

 

Les tabloïds se remplissent de ses frasques mais Amy prend de vitesse les paparazzis, exposant avec simplicité son histoire d'une fille qui refuse d'aller en cure de désintoxication. Physiquement, avec sa coiffe façon tour de Pise qui menace à tout moment de s'écrouler et ses tatouages de marin, on peut croire à du théâtre, mais non. Amy, chante son désespoir amoureux et existentiel avec une sincérité émouvante. Elle intrigue, interroge, et le message prend vite une dimension universelle, comme ce refrain sans cesse répété, "No, no, no".  "On me demande d'être ce que je ne suis pas, and I said no, no, no...". Le deuxième titre, "You Know I'm No Good" est un sublime film noir amoureux. "Back to Black" est un magnifique adieu à celui ("Black") qui retourne vers l'autre femme, la précipitant dans la solitude. "Love is a Losing Game" est une ballade soul à la simplicité extrême soutenue par un piano. "Wake Up Alone" une chanson soul teintée de blues où la voix épuisée d'Amy atteint des sommets d'émotion...etc...L'album poursuit sa course vers les sommets des hit-parades et le moral d'Amy, de nouveau amoureuse, suit la même courbe.

 

 

                                                              Amy en concert au Festival Lollapalooza à Grand Park, Chicago, le 5 août 2007. Photo Joey Foley.

 

Ce sera ensuite une grande tournée aux États-Unis. Island Record fera bien les choses, la faisant commencer par New York où les places s'arrachent en quelques heures.

 

 

 

Avec son look excentrique elle deviendra une icône de mode et elle fera la une des magazines de mode ou de la presse people du monde entier.

Malgré cela, tous les efforts qu'elle fait pour se reconstruire un vie saine seront mis à mal par son éternelle addiction à l'alcool. Elle se présente totalement avinée à la télévision, profère des injures en public ou monte sur scène ivre morte avant d'aller vomir, et ce n'est malheureusement pour elle que le début d'une longue descente vers le Royaume des Enfers !

 

 

                                                                                                                         Black et Amy au Festival de l'Île de Wight le 9 juin 2007.

 

 

Black n'est jamais vraiment sorti de son paysage. Elle a toujours continué à lui envoyer des textos enflammés. Les retrouvailles entre ces deux amoureux se solderont par un mariage à Miami qui n'a rien d'un gage de stabilité. Elle prend pour habitude d'annuler des concerts, même les plus importants, "pour circonstances imprévues" et les chutes vertigineuses dans sa vie succèdent à des hauts inoubliables, remportant encore de nombreux prix ou donnant d'impressionnantes prestations dans de prestigieux festivals, comme à l'Île de Wight en duo avec Mick Jagger, qui fera dire à Billie Jean :

"Il fallait la voir voler la vedette à Mick Jagger, le meilleur showman de la terre, elle qui ne faisait qu' 1,57 m..." 

 

                                                                                   Amy et Mick Jagger lors de la clôture du Festival de l'Île de Wight, le 10 juin 2007. Photo Dave Hogan.

 

 

Mais ses frasques avec Frank continueront à faire le bonheur de la presse à scandale mondiale, bagarres, procès, emprisonnement de Frank, retard aux concerts, incidents en tous genres. A Birmingham Amy insulte les spectateurs qui quittent la salle en la huant et exigent un remboursement. A Londres elle monte sur scène avec une heure de retard donnant l'impression d'être sous l'emprise de drogues. Elle annule ses dernières dates de tournée et toutes interventions publiques pour l'année 2007. Mieux qu'un discours, les dernières photos des paparazzis qui montrent Amy se promenant en pleine nuit, ivre et perdue, en soutien-gorge dans les rues de Londres par presque zero degré, en diront beaucoup plus long sur la détresse et le déséquilibre de la diva.

 




Mais 2007 restera l'année des montagnes russes avec les bas les plus sombres et les hauts les plus lumineux. En décembre, elle est nominée six fois aux Grammy Awards Américains et remporte cinq trophées.

Seulement voilà, plus rien ne tourne rond en cette fin d'année 2007. La scène est devenue pour elle un territoire hostile et pour Amy il ne semble plus pouvoir y avoir de paix sur terre. Elle est devenue la cible permanente des paparazzis qui la traquent et campent jour et nuit devant sa porte, ou fait l'objet de paris d'internautes spéculant sur sa disparition dans l'année.


 

L'opinion publique semble toutefois vouloir la sauver mais ses déboires avec la justice et les stupéfiants l'empêchent trop souvent de quitter la Grande-Bretagne. Chaque addiction dont elle parvient à se débarrasser est remplacée par une autre. L'alcool, en tous cas, est toujours plus présent.



En janvier 2008, "Back to Black" obtient la première place au Billboard pour la troisième semaine consécutive. Fin de janvier 2008, le porte-parole de Universal Music signale que les ventes totales ont atteint 3,4 millions d'exemplaires et pense qu'il existe une corrélation entre ce chiffre et la vaste couverture médiatique que la chanteuse reçoit.



Mais vous l'avez compris, sa carrière est désormais derrière elle. Dans les années qui suivront aucun projet sérieux n'aboutira réellement.
En juin 2011, le dernier concert qu'elle donnera à Belgrade sous les huées du public sera une catastrophe. Terriblement amaigrie, ivre, tenant à peine debout, elle sera incapable de suivre ses musiciens et ne jargonnera que quelques bribes de parole, sortant à plusieurs reprises de scène sous les sifflets du public. Toutes les dates européennes prévues seront annulées.

En concert au Kalemegdan Park, à Belgrade en Serbie, le 18 juin 2011. Ce sera le dernier concert d'Amy avant sa mort, le 23 juillet 2011. Photo Srdjan Stevanovic.



Le vendredi 22 juillet le temps sur Londres est un temps à se croire en novembre, morne et pluvieux. Dans la journée un médecin qui la suit pour un traitement contre l'alcoolisme, après l'avoir examinée estime que tout va bien. En fin de soirée Amy joue de la batterie dans sa chambre. Un de ses quatre gardes du corps en service lui demande de faire moins de bruit pour ne pas déranger les voisins, il la trouve "éméchée", sans plus. Le lendemain matin, le 23 juillet, il l'a découvre morte.
Elle sera incinérée dans l'intimité au Golders Green Crematorium.

 

 


En quelques jours, "Back to Black" se retrouve numéro un partout en Europe comme aux États-Unis. La mort fait vendre et l'inévitable album posthume, "HiddenTreasures", est mis en vente quatre mois plus tard, en novembre 2011.
La vérité sur la mort d'Amy ne sera révélée qu'en octobre 2011. Elle a succombé à une dose mortelle d'alcool, cinq fois supérieure à la limite légale, soit 416 mg d'alcool pour 100ml de sang.
La Fondation Amy Winehouse, créée par ses parents, vient en aide à des jeunes victimes d'addictions diverses.

 

 

 

 

 

 

Depuis la première à la dernière des chanteuses choisies pour "Chanteuses de Blues, l'Éloge des Rebelles", plus d'un siècle s'est écoulé. De Mamie Desdoumes, presqu'inconnue, à la dernière, Amy Winehouse, super star planétaire monstrueusement médiatisée, les unes après les autres, ces chanteuses de blues ont toujours appris les unes d'après les autres. Pour écrire leurs chansons dont les thèmes et les musiques ont évolué avec leur époque, elles ont toutes puisé dans leurs souvenirs, dans leur vie personnelle, et y ont mis, en toute conscience de leur expérience, une profondeur de sentiment jamais feinte. Être une chanteuse "rebelle" un peu avant 1900 ou un peu après 2000 n'a bien sûr ni les mêmes causes ni les mêmes significations, mais toutes étaient excessivement généreuses, toutes avaient un grand coeur, et toutes, pour des raisons diverses, se sentant mal dans leur peau, ont capté l'essence du blues leur permettant de ressentir ce "feeling" qui leur donna du courage. Car du courage il en fallait, lorsque, quelle que soit l'époque, on n'avait que le chant pour faire entendre ses frustrations, ses tristesses, ses colères, ses opinions, sa soif de liberté, d'égalité et, finalement, arriver à ce que des questions qui comptaient pour chacune fassent le sujet de plus d'un siècle de débat public.

L'évolution musicale, et donc le blues avec, continuera son chemin, bien sûr, au rythme des mutations sociales, géographiques et culturelles, des inventions techniques les plus élaborées et des produits électroniques les plus sophistiqués, mais je reste persuadé que la voix humaine, l'instrument de musique le plus élémentaire, quel que soit sa signification, son rôle social, ses sonorités, ses rythmes, sa douceur, son univers raffiné ou son rugissement douloureux, restera à jamais l'instrument le plus riche, le plus authentique et le plus émouvant, comme il a pu l'être, on peut l'imaginer, pour la première chanson d'amour jamais chantée. Gardons l'espoir !

Même si en ce début de siècle les évolutions dans tous les domaines semblent parfois s'emballer, compte tenu de mon âge je ne connaîtrai jamais la suite, mais j'ose croire que les futures "bad girl" resteront, consciemment ou inconsciemment, les héritières de ces légendaires chanteuses de blues rebelles qui ont marqué l'Histoire. 

 

 

 

Texte de Jean-Louis Guinochet




Principale documentation consultée pour la rédaction des trois parties :
- The American Music Forum (chanteuses de blues)
- Wikipédia (chanteuses de blues).
- Le Pays où naquit le Blues, par Alan Lomax,  Les Fondeurs de Briques. 2012.
- Feel Like Going Home. Legendes du Blues & Pionniers du Rock'n'roll, par Peter Guralnik, Rivage et Rouge. Payot Rivage. Édition 2009.
- La Grande Encyclopédie du Blues, par Gérard Herzhaft. Fayard. Édition 2010.
- Le Blues, par Stéphane Koechlin . Libro Misique. Édition 2000.
- Chanteuses de Blues, par Buzzy Jackson, Des Femmes. Édition 2006.
- La Rage de Vivre, par Milton"Mez"Mezzrow, Le Club Français du Livre. Édition 1950.
- Big Mama Thornton, par Jacques Périn. Soul Bag n°210, avril,mai, juin 2013.
- Philosophie du Blues "Une éthique de l'errance solitaire", par Philippe Paraire, Les Éditions de l'Épervier. 2012.
- New Orleans, par Arnaud Bienville, Jazz Hot Encyclopédie. Édition 1989.
- Sur la route de Janis Joplin par Jeanne-Martin Vacher, les Editions du Seuil. 1998.
- Nina Simone, par Julien Crué. Soul Bag n°209, janvier, février, mars 2013.
- Amy Winehouse, une icone rebelle, par Florence Tredez, Ugo&cie. Édition 2012.

- Muddy Waters. Mister Rollin'Stone. Robert Gordon. Édition Rivage Rouge 2014. 




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